Pour le jeune Tardi, son père fut cet homme décharné au tempérament bougon, passionné, qu'il entendit rabâcher ses souvenirs de déportation durant toute son adolescence. René Tardi avait fait partie des deux millions de jeunes adultes parqués dans des stalags pendant plus de quatre années. Des années perdues!!! Tardi lui avait demandé de les raconter, ce qu'il fit sur des cahiers d'écolier. Le dessinateur n'eut alors qu'à reprendre ces feuillets aux descriptions précises, souvent savoureuses, pour évoquer l'itinéraire paternel. Engagé dès 1935 dans l'armée dans une escouade de chars, il fait partie de ces troupes qui ressentaient la fierté de faire partie d'une armée puissante, blottie derrière la ligne Maginot. Mais vient la ?oedrôle de guerre? suivie de l'invasion du nord de la France, les quelques opérations de René pour contrer l'ennemi et ses premières rencontres avec la mort. Brutalement, c'est l'humiliation la plus profonde. Quinze jours pour aboutir à la défaite ! Des prisonniers par dizaines de milliers. Vaincus ! Viennent ensuite les mois interminables derrière les barbelés avec pour compagnie quotidienne, la faim, le froid, la promiscuité, la tyrannie des garde-chiourmes, les espoirs d'évasion, avant que n'arrivent des nouvelles du débarquement, de la progression des alliés, de la débâcle des Boches. Enfin ! Bien au-delà d'une BD ordinaire, ce récit est un véritable roman graphique auquel l'auteur a associé deux de ses enfants : Rachel pour la mise en couleur, Oscar pour la documentation et la recherche iconographique. Les textes, limpides, savent raconter avec simplicité et humour parfois, sans pathos ni excès, l'itinéraire de René. Les images réalistes et suggestives, dans le style habituel de Tardi, donnent une portée universelle à ce témoignage sur les horreurs vécues par tant de jeunes aux prises avec la survie. A la Libération, la découverte des abominations et des exterminations massives commises dans les camps a eu pour conséquence de faire tomber dans l'oubli ces hommes qui, eux, étaient revenus de captivité abîmés, traumatisés mais vivants. Merci à Tardi pour ce splendide exercice de mémoire qui répare ainsi une injustice de l'histoire. Un tome à venir évoquera l'effroyable odyssée de leur retour vers la France. (source : les-notes.fr)